mai 1968

Les événements de mai 1968 n’ont eut aucune incidence sur la cidrerie de Bellot, sans doute du fait de l’excellent climat social qui y régnait. En revanche, la cidrerie de Rouen s’est trouvée isolée de son siège. Toutes les communications étant coupées, je me suis rendu sur place pour trouver accord et mettre fin à une grève qui n’aura duré que 48 heures.

En tournée de clientèle dans les Vosges, au milieu des sapins et dans un décor magnifique, j’ai appris par la radio que des barricades avaient été dressées à Paris et que les étudiants affrontaient les forces de l’ordre. Je n’en croyais pas mes oreilles ! Quelque temps après, ce sont des usines qui étaient occupées et des patrons séquestrés. A mon retour, j’ai constaté qu’il n’y aurait bientôt plus ni courrier ni téléphone (à Bellot le téléphone passait par une opératrice). La chambre de commerce de Meaux avait bien tenté de suppléer les services postaux, mais il fallait y porter le courrier et l’essence commençait à manquer. Dans le contexte d’une situation qui empirait, il fallait continuer à travailler et livrer les marchandises.

Je suis allé à la Préfecture (ou sous-préfecture) pour dire que nous approvisionnions des hôpitaux en jus de pommes (ce qui était vrai) à la demande des médecins qui considéraient que cette boisson était indispensable pour la santé des malades (ce qui était faux), arguant par ailleurs du fait que nous n’aurions pas de problème pour circuler avec des camions rouges (c’était vrai !). J’ai ainsi pu obtenir des bons de carburant et faire rouler nos véhicules, mais aussi stocker de l’essence dans une citerne à cidre de 25 hl pour nos voitures de société et pour le personnel. J’utilisais un talkie-walkie posé sur ma table de nuit, en liaison permanente avec la cave qui travaillait jour et nuit à préparer les cidres et jus pour l’embouteillage, quand ce n’était pas les opérations de filtration ou de centrifugation. Michel Houdrichon, qui par la suite devint chauffeur, me dit un jour (ou une nuit !) : « Mais pourquoi on nous empêche de travailler ? C’est pas normal ! »

Un matin, j’ai vu arriver la DS de Roger Surplie, qui dirigeait la cidrerie de Rouen et avait pu trouver un peu d’essence. Il m’a rapporté que son personnel de Rouen (6 ou 7 personnes) s’était mis en grève et réclamait une forte augmentation. Le lendemain je suis allé à Rouen, traversant la banlieue parisienne avec son lot de banderoles « usine en grève, patron sequestré etc. » et de drapeaux rouges et noirs. Pour une fois, la circulation était fluide ! Arrivé à la cidrerie de Rouen, rue de Lyons, je me suis rendu dans le bureau de Roger  qui a aussitôt fermé les volets, m’avertissant que lors des défilés, certains manifestants lançaient des pavés partout où ils soupçonnaient que l’on y travaillait. J’ai alors réuni le personnel en grève et lui dit que s’ils ne travaillaient pas, on ne pouvait pas vendre, et qu’il n’y aurait donc pas d’argent pour verser les salaires. Roger m’a désigné les « meneurs » de la CGT et une idée m’est venue : j’ai annoncé une augmentation de salaire à condition de reprendre le travail, et ai communiqué le montant du salaire de chacun devant leurs collègues. Dans la nouvelle grille de salaires, j’ai fortement augmenté les « meneurs », lesquels ont rapidement été pris pour traitres et ont du démissionner rapidement, donc sans indemnité.

Notons qu’à Bellot, nous avons connu quelques heures de grève (ou plutôt d’arrêt de travail) dans les années 1970, du fait d’un ouvrier cégétiste qui s’était fait embaucher quelque temps auparavant pour monter une section. Il n’y avait jamais eu de syndicat ouvrier à la cidrerie, seulement une Amicale du personnel que j’ai créée et encouragée, puis un comité d’entreprise compte tenu de la taille de l’effectif. Lorsqu’il y a eu une tentative de débrayage initiée par notre syndicaliste, j’ai réuni le personnel et la très grande majorité voulait travailler. Je n’ai pas eu besoin de m’expliquer car ce sont les employés eux-mêmes, en particulier le chauffeur Guy Agache, qui ont réglé son sort au cégétiste. Il donna sa démission au bout de 2 jours.

Commentaire de Serge Mignard.

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